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Les enjeux du stockage de l’eau en agriculture

Sans adopter une posture dogmatique d'opposition à l'irrigation, à la production de maïs et au stockage de l'eau, il est utile de bien cerner les enjeux de l'usage de l'eau d'irrigation par l'agriculture.

En préambule, il utile de rappeler les fondamentaux des deux premiers articles de la loi sur l'eau.

- Article premier. L'eau est un bien commun.
- Article deux. La hiérarchie des usages de l'eau sont :
o 1. L'eau potable
o 2. Le bon état des milieux.
o 3. L'eau « économique » (dans laquelle se trouve l'irrigation).

Ces fondamentaux sont régulièrement bousculés par les prélèvements importants d'eau pour l'irrigation.
Et s'il est régulièrement avancé que les volumes mobilisés par l'irrigation ne représentent que 3 % des volumes de précipitation sur le même périmètre, cette présentation en valeur relative, s'avère rapidement démagogique quand ces volumes sont présentés en valeur absolue, et surtout il apparaît vite que ces volumes ne sont pas disponibles si on veut réellement respecter la hiérarchie des priorités posées par la loi !

 Pour sortir des étiages sévères constatés chaque année, la construction de retenues de substitution consistant à creuser un trou de 7 mètres de profondeur, ayant une emprise foncière d'environ 10 hectares, autour duquel est érigé une digue de 7 mètres de haut, au fond duquel est tendue une bâche.

La solution proposée, sur le périmètre de l'ex Poitou-Charentes, envisage 200 projets de ce type, pour un coût total de 300 millions d'euros, financés en moyenne par 70 % d'argent public (200 millions d'euros essentiellement issus des Agences de l'Eau), et qui consiste à vouloir stocker de la ressource prélevée en hiver, dans les forages, captant l'eau des nappes phréatiques, afin de l'utiliser en été.
La nappe phréatique est en réalité une roche poreuse qui se gorge d'eau lors des périodes de saturation en eau du sous-sol. Plus la période de saturation est longue et plus la zone saturée est importante, grâce à un volume d'eau important au contact de la roche poreuse, plus la recharge de la nappe phréatique est important en volume d'eau stockée.
Ce mode de recharge comporte de nombreux avantages, mais se caractérise par une inertie importante nécessitant, pour être efficace et offrir un important volume stocké, une longue période de contact de la roche avec un volume d'eau important.
Lorsque la période de saturation disparaît, en été par exemple, la roche poreuse libère l'eau et la rend disponible pour des prélèvements avec également une inertie à la vidange qui permet de pouvoir bénéficier de la ressource sur des périodes longues. Et plus la nappe est rechargée, plus la période de disponibilité de la ressource est longue et importante.
Cycle de l'eau

Si malgré des épisodes peu pluvieux, il a été possible de mobiliser de la ressource en eau en quantité importante au début de l'utilisation importante de l'irrigation, c'est en raison de l'inertie de décharge de ces nappes phréatiques qui étaient en capacité de libérer de l'eau stockée au profit d'épisodes pluvieux plus favorables.
A l'inverse, l'inertie de recharge des nappes explique les raisons pour lesquelles ces dernières années, en raison de pluviométrie plus faible et/ou apparaissant trop tard à l'automne et/ou dans l'hiver pour permettre une période de contact entre l'eau et la roche, les nappes phréatiques présentent régulièrement, et avec une récurrence de plus en plus élevée, d'importants déficits créant des situations tendues dans le cadre de la gestion de la ressource en eau.

La création de nombreuses retenues de substitution, remplies en hiver par des forages captant dans les nappes phréatiques va entraîner la réduction importante du volume d'eau et de la durée de contact de cette eau avec la roche poreuse et donc significativement affaiblir la recharge de ces nappes phréatiques fournissant l'eau potable, amplifiant ainsi les tensions importantes déjà constatées pour la fourniture d'eau potable, qui pourtant est la priorité principale de la loi sur l'eau.

Donc, vu de loin, et dans une approche simpliste, le principe peut sembler cohérent et pertinent. En fouillant, les choses apparaissent nettement moins évidentes.

1. Plantons le décor

1.1. En Nouvelle-Aquitaine, qui irrigue ?

Seulement 10 % des agriculteurs de la Région ont accès à l'irrigation, et le tiers de ces producteurs possèdent la moitié des surfaces irriguées de la Région (source : Agreste). Les bénéficiaires sont donc majoritairement de grosses structures.

1.2. Quelles productions sont préférentiellement irriguées ?

70 % des surfaces irriguées (400 000 ha) sont emblavées en maïs (260 000 ha) et seulement 25 % de ces surfaces en maïs irrigué sont destinées à une utilisation locale (maïs ensilage, grains pour filière porcine, avicole, etc.). En creux, cela signifie que 75 % des surfaces de maïs irrigué sont valorisées en maïs grain en vue de l'exportation (environ 2 millions de tonnes, à 15 % d'humidité, soit 300 000 m3 d'eau qui partent sur des bateaux, pendant que 3000 kms de cours d'eau de la seule région ex-Poitou-Charentes sont à secs chaque été, notamment et principalement en raison de l'irrigation de cette culture !).

Les autres 30% de surfaces irriguées sont consacrées à de nombreuses productions : fruits, légumes, tabac, essentiellement.

1.3. Quelles sont les utilisations du maïs irrigué, ici pour ¼ de la production ou à l'exportation pour les autres ¾ ?

Si l'utilisation du maïs est incontournable pour certaines productions animales (filières porcine, avicole, cunicole, etc.), elle devient nettement plus contestable dans la réalisation de la ration alimentaire des herbivores en général, et en particulier des ruminants (bovins, caprins, ovins), que ce soit pour produire de la viande ou du lait. De plus, le poids économique de cette ration basée sur le binôme maïs-soja, proposée à des herbivores qui finalement sont élevés sur des surfaces bétonnées, est aussi en grande partie responsable des difficultés économiques des filières d'élevages laitiers et allaitants, en raison du coût prohibitif de cette ration alimentaire (importation du soja) et du poids de charges de structures liées aux bâtiment d'élevage nécessaires à ce modèle de production animale, nettement plus modestes dans le cas d'élevages basés sur des systèmes herbagés !
De surcroît, ce que broutent les herbivores influence aussi les caractéristiques nutritionnelles du lait et de la viande qu'ils produisent, notamment sa teneur en acides gras. Ces particules de gras ont des effets variés sur la santé. Elles ont été observées à la loupe par la recherche à cause des soupçons qui pèsent sur leurs effets : elles jouent un rôle clé dans les maladies cardiovasculaires, le diabète, l'obésité et certains cancers.
Les études se sont multipliées et il a été découvert que la nature de ces matières grasses pouvaient être rapidement modulée par l'alimentation des ruminants, il y a notamment une relation linéaire entre la part d'herbe dans la ration des vaches laitières et la teneur en oméga 3 du lait et de la viande. Les Oméga 3 ont de puissantes fonctions anti-inflammatoires, et font donc partie des bons acides gras.
Le régime alimentaire des herbivores basé sur le binôme maïs-soja, engendre la production de lait et de viande déséquilibrés en Oméga3/Oméga6. Idéalement, le rapport O6/O3 doit être inférieur à 4. Tout dépend donc de l'équilibre de l'alimentation : plus on verse de maïs dans les mangeoires, plus les herbivores produisent du lait et de la viande chargés des mauvais Oméga 6. Les herbivores qui engloutissent 60% d'ensilage de maïs produisent un lait et de la viande totalement déséquilibrés en acide gras : le rapport O6/O3 atteint alors 7,6 ! Près de quatre fois plus que les ruminants dont la ration alimentaire contient 80% de pâturage et de foin, selon les études menées par l'Institut National de la Recherche Agronomique (INRA). Très carencé en protéines, le maïs doit en plus être complété par une légumineuse, en général, le soja, dont le bilan en acides gras est également
désastreux et participe ainsi également à l'inflammation généralisée.
Une des solutions à la crise économique de l'élevage, mais aussi au retour de produits du terroir authentiques, avec une nette démarcation identitaire et organoleptique, tout en étant respectueux des équilibres et du respect de la condition animale (notamment sur les zones humides entretenues par l'élevage) participant à une gestion quantitative et qualitative responsable de la ressource en eau, des biodiversités sauvages et domestiques (races locales bien adaptées au régime herbagé), du climat (grâce aux prairies broutées par les herbivores et qui séquestrent le carbone) et de la santé (obésité, diabète, maladies cardiovasculaires, certains cancers…..), consiste à faire manger de l'herbe aux herbivores !
Et pourtant combien de milliers d'hectares de prairies dédiés au système herbagé ont été retournées pour produire du maïs, gourmand en eau d'irrigation l'été quand elle est rare, complété par du soja importé, pour s'inscrire dans une logique d'élevage concentrationnaire avec son cortège de désastres, sur notre territoire et Outre-Atlantique, développé ci-dessus ?

1.4. Comment donc expliquer le développement exponentiel du maïs et de son irrigation à partir des années 70 ?

Trois étapes :

1.4.1. Du début des années 70 à 1992

Basé sur une interprétation simpliste du grand cycle de l'eau, il a été considéré que la ressource en eau était parfaitement inépuisable, sans considérer l'inertie qui pouvait exister dans certaines des étapes et notamment celles de la recharge des nappes, en particulier les plus profondes. Les prélèvements débridés ont rapidement fait apparaître des déséquilibres majeurs dans la gestion quantitative de l'eau (avancée du biseau salé, tarissement des nappes superficielles, etc. …).


 Grand cycle et petit cycle de l'eau

Il existe des prélèvements nets, dont la restitution au milieu est aléatoire dans lecadre du « grand cycle » de l'eau et des prélèvements restitués au milieu, même souillés,mais assainis dans le cadre du « petit cycle » de l'eau.

Ce schéma permet d'illustrer combien le développement de l'irrigation basé sur le principe du caractère inépuisable de la ressource en eau, au motif que le cycle de l'eau renouvelle constamment cette ressource, est approximatif.
En effet, la pratique de l'irrigation en été ne permet ni l'infiltration directe vers les nappes, ni le ruissellement vers les cours d'eau, et même si elle permet l'évapotranspiration et un peu d'évaporation directe, les précipitations engendrées par ces deux phénomènes sont parfaitement aléatoires, tant dans la dimension spatiale et peuvent donc être localisées très loin des lieux d'évapotranspiration et d'évaporation, que dans la dimension temporelle, tant ces précipitations peuvent être décalées dans le temps et ne pas apparaître au moment où la ressource peut en avoir besoin, ou être en capacité de se recharger au moment où apparaissent ces précipitations.

A l'inverse, les prélèvements domestiques (eau potable), industriels et énergétiques, ne sont jamais des prélèvements nets, dans la mesure où, même souillés, ils sont restitués au milieu, après épuration si nécessaire grâce au petit cycle de l'eau, dans leur quasi-totalité et sur la même zone de prélèvement. C'est une différence majeure avec les volumes dédiés à l'irrigation…


1.4.2. La réforme de la PAC 1993 et l'avènement des aides compensatoires.

La disparition du régime des interventions pour passer au régime des aides aux surfaces (dites compensatoires) a fait l'objet de tractations viriles entre l'Etat, l'Europe et le monde agricole, et en particulier la FNSEA. Sur le sujet précis des aides aux surfaces en maïs irrigué, les maïsiculteurs, qui ne représentent que 10 % des agriculteurs, ont réussi à obtenir une majoration des aides aux surfaces de 50 % pour le maïs irrigué par rapport aux aides attribuées aux productions de céréales en cultures sèches. Concrètement, un hectare de céréales en culture sèche (blé, orge, seigle, maïs non irrigué, etc.…) bénéficiait d'une aide d'environ 300 €uros par hectare, alors que les maïsiculteurs en système irrigué bénéficiaient pour un hectare de 450 €uros. Majoration justifiée par le fait que l'irrigation nécessite des investissements spécifiques que la PAC a décidé d'accompagner. Voila donc 23 ans, car malgré la mise en place des DPU (Droit à Paiement Unique), puis des DPB (Droit à Paiement de Base), que cette majoration est toujours présente dans le régime d'aides PAC, que les maïsiculteurs irrigants perçoivent 50 % d'aides de plus que leurs voisins céréaliers en culture sèche. Je ne parle pas des éleveurs, en système herbagé, qui eux, ont vu leur régime d'aides plafonné autour de 100 €uros par hectare, soit 4 à5 fois moins que les maïsiculteurs irrigants, et 3 fois moins que les céréaliers en cultures sèches. Pourtant, ces maïsiculteurs irrigants, qui ne représentent que 10 % des agriculteurs, après 23 ans de régime d'aides pour des pratiques agricoles indécentes pour les équilibres, les biodiversités, le climat et la santé, basées sur le recours massif aux pesticides, aux engrais de synthèse et à l'irrigation, qui impactent la ressource en eau, tant sur la plan quantitatif que qualitatif, sans scrupules, reviennent à la charge pour obtenir de l'argent public d'investissement (environ 70%) pour stocker de l'eau, pour continuer d'irriguer du maïs, avec son cortège d'inconvénients.

1.4.3. L'octroi des références volumétriques par exploitation

En 2005, en lien avec la mise en oeuvre des volumes prélevables, sont attribués les volumes de référence par exploitation. Ils s'établissent en faisant référence au besoin de la plante maïs et donc sur la base des prélèvements historiques des irrigants maïsiculteurs, majorés (attention c'est incroyable!) de 15 %, si engagés dans une démarche collective de stockage de l'eau ! Au-delà du fait que les irrigants ayant engagé volontairement des démarches économes en eau se sont trouvés pénalisés dans cette logique, en termes d'attribution de volumes par rapport à ceux qui n'ont fait aucun effort d'économie, cette logique n'intègre à aucun moment la capacité du milieu à fournir l'eau nécessaire aux besoins d'irrigation.

2. La logique du stockage de l'eau

Nous parlons bien ici de stockage et pas de création ressource ! Faire un trou de 7 mètres de profondeur sur une parcelle de 10 hectares, monter une digue de 7 mètres de haut et tendre une bâche au fond pour remplir, avec un forage, le bel équipement, n'a jamais fait pleuvoir ! Et pourtant cette logique revient au galop dans le contexte de prise de conscience des effets que pourrait avoir le changement climatique sur les pratiques agricoles. Mais encore une fois la manière dont l'équation est posée, la rend parfaitement insoluble. La modélisation du changement climatique prévoit à la fois :
-1. Une augmentation des températures et donc aussi de l'évapotranspiration et de l'évaporation. Ce qui, sur les productions agricoles d'été, entraîne des besoins en eau plus importants.
-2. Une baisse du régime pluviométrique, handicapant la recharge des nappes de stockage, et entrainant un recours à l'irrigation plus important puisque les pluies sont plus rares.
-3. Le cumul de ces deux effets ayant donc pour conséquence des nappes moins bien rechargées, mais plus sollicitées.
Les irrigants, en voulant répondre au changement climatique par plus d'irrigation, posent donc ainsi une équation insoluble qui consiste à vouloir mobiliser encore davantage une ressource qui se raréfie, notamment en période critique, et qui pourtant doit satisfaire, avant les prélèvements d'irrigation, d'autres priorités comme la fourniture d'eau potable et le bon état des milieux naturels.

Pourtant et en partant du principe que les volumes liés à l'irrigation ne représentent que 3% des pluviométries du même périmètre, avec toute la logique simpliste et démagogique que comporte un tel constat, il est adopté le principe de stocker l'eau en hiver pour l'utiliser l'été. Il demeure toutefois à cette logique un certain nombre d'écueils :

2.1. Une logique collective approximative

Connectés, ou non, aux équipements de stockage, TOUS les irrigants participent aux financements des retenues de substitution, pour les 30 % restant à la charge des maïsiculteurs irrigants (en complément des 70 % d'aides publiques !). En fonction des projets, ces 30 % d'autofinancement pèsent environ 200 €uros par hectare et par an, pendant 35 ans ! 
En échange de cette « participation », « contribution » au projet collectif, l'Etat s'est engagé à la sanctuarisation des volumes de référence. Ce qui est parfaitement irresponsable !
Prenons l'exemple du bassin versant de la Seudre (17).
Chaque année, au printemps, l'administration autorise le prélèvement de 12 millions de mètres-cubes. Au gré des arrêtés préfectoraux de réduction de volume liés aux situations critiques de débits de la Seudre, les prélèvements effectifs s'établissent plutôt autour de 9 millions de mètres-cubes. L'évaluation des volumes prélevables sur ce même bassin, sont de 1,5 millions de mètres cubes sur lesquels devraient s'appuyer les prélèvements des irrigants non-connectés aux retenues, et le projet de 9 retenues de substitution permettrait de stocker 3 millions de mètrescubes. L'addition des deux logiques, permet donc de disposer 4,5 millions de mètres-cubes pour l'irrigation. Or, en échange du financement des 30% des équipements de stockage, l'Etat s'engage à maintenir les volumes de référence à 9 millions de mètres-cubes pour l'ensemble des irrigants du bassin connectés ou non aux équipements de stockage, soit le double d'une démarche respectueuse des enjeux eau potable et bon état des milieux, qui sont les deux premières priorités de la loi sur l'eau. Et c'est avec de l'argent public (70 %) que l'on soutient de telles logiques ? Inacceptable !
Les à secs de la Seudre vont donc continuer malgré l'engagement massif d'argent public (environ 15 millions d'€uros pour ce bassin versant) et les activités conchylicoles à l'estuaire, dont la prestigieuse Marennes-Oléron, vont continuer de souffrir de cette gestion désastreuse de la ressource en eau tant sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif.
Sans compter l'apparition des algues vertes, sur les côtes au large de l'estuaire de la Seudre et de la Charente, depuis plusieurs années, menaçant donc aussi les eaux de baignade.

Pour l'ensemble des projets en gestation, ces volumes de référence historique sont transmis aux repreneurs lors de la cession de l'entreprise, ce qui engendre au moins deux écueils :
-3.2.1. Le cédant majore la valeur de l'entreprise cédée au motif qu'elle dispose d'équipements de stockage d'eau d'irrigation……financés pour 70% par de l'argent public ! Ne serait-ce pas une prise d'intérêts privés sur la base d'équipements majoritairement soutenus par des aides publiques ?
-3.2.2. En cédant les volumes aux repreneurs, sans jamais ouvrir la possibilité d'accorder des volumes à de nouveaux arrivants, l'argent public est utilisé pour alimenter des situations de « rentes » sans ouvrir la possibilité d'attribution de volumes à de nouveaux installés, posant ainsi la question de l'accès à l'eau lors de l'installation (en maraîchage par exemple où l'irrigation est incontournable) sur du foncier où l'accès à l'eau n'existait pas historiquement.

2.2. Une approche des volumes prélevables inachevée

Les volumes prélevables ne traitent que des volumes disponibles en été. Or, remplir en hiver, avec des forages, des équipements de stockage, nécessite également une évaluation des volumes prélevables d'hiver. Sur le Pamproux (79), la mise en place de retenues de substitution, financées par 70% d'argent public, visant la disparition d'étiages sévères constatés chaque été à partir de mi-juin, a entrainé depuis plusieurs années, en raison du
remplissage hivernal des retenues, des étiages à partir de mi-avril ! Exactement l'effet inverse à celui attendu ! Tout simplement parce que les volumes prélevables d'hiver sont en réalité plus faibles que ceux imaginés, et surtout jamais évalués !

Et les volumes prélevables d'été vont également être impactés par les prélèvements importants réalisés en hiver sur les forages.
C'est pourtant sur ces volumes que devront continuer de prélever les irrigants non connectés aux retenues !
Bel usage de l'argent public, n'est-ce pas ?

2.3. Quel modèle agricole est adossé aux projets de retenues de substitution ?

Au-delà de logiques agronomiques désastreuses, souvent basées sur la monoculture de maïs ou des rotations courtes, ou très courtes, le modèle agricole associé à ces démarches d'irrigation massive des cultures, est un modèle souvent également très impactant négativement sur la gestion qualitative de la ressource en eau, car très souvent, pour ne pas dire toujours, en raison de ces rotations très courtes, de ces logiques agronomiques inadaptées, ces pratiques sont de gros utilisateurs d'engrais de synthèse et de pesticides que l'on retrouve dans les périmètres de captage d'eau potable, dans les eaux de baignade, et dans les eaux estuariennes où trempent les coquillages valorisés par la conchyliculture, essuyant des mortalités récurrentes et particulièrement élevées depuis 7 ans. Dans cette approche globale, le modèle agricole adossé à l'irrigation reste un modèle désastreux pour la gestion de l'eau, tant sur le plan qualitatif, que quantitatif. 
Les coûts externalisés que génèrent la réparation des dégâts causés par ce modèle agricole adossé aux retenues de substitution, sur les équilibres, les ressources et l'eau en particulier, les biodiversités sauvages et domestiques, le climat et la santé sont colossaux.
En 2010 l'INRA évaluait à environ 100 milliards d'euros par an le poids des dégâts, et de leur réparation, causés par cette agriculture sur la biodiversité sauvage.
En 2011, le Conseil Général de l'Ecologie et du Développement Durable (CGEDD) chiffrait :
-1. Le coût complet du traitement annuel des excédents d'agriculture (nitrates et pesticides) dissous dans l'eau à au moins 54 milliards d'euros par an.
-2. Le coût complet de dépollution du stock des eaux souterraines à plus de 522 milliards d'euros.
Peut-on continuer de soutenir, avec de l'argent public, de telles logiques ?
Il est donc urgent de strictement appliqué le principe pollueurs - payeurs que devrait être, par exemple, la règle de gestion des budgets des Agences de l'Eau encore nettement trop tournés vers des logiques curatives, où les « pollués » sont les payeurs, et les pollueurs « payés » !

3. Quelles alternatives pertinentes ?

3.1. Avancer vers notre autonomie protéique ?

Développer des cultures protéiques en substitution du maïs tourné vers l'exportation ouvre la voie d'une réduction significative de la dépendance à l'eau d'irrigation, tout en ouvrant le cercle vertueux d'une autonomie participant à donner du sens à nos produits du terroir, à une économie de l'élevage plus solide et à une logique territoriale plus cohérente.

3.2. Une alternative au maïs qui serait………le maïs !

Les maïs hybrides proposés par les firmes semencières ont certes des potentiels de production élevés (120 quintaux/ha), mais nécessitent l'engagement d'intrants (irrigation, engrais de synthèse et pesticides) dans des proportions importantes pour atteindre ces niveaux de production. Les maïs populations, certes moins productifs (entre 80 & 90 quintaux/ha) en culture sèche, avec des variations de rendement ridicules entre une année sèche et une année humide, ne nécessitent donc aucune irrigation, pas de pesticides et beaucoup moins d'azote. Le même grain se mange et se sème, et le producteur retrouve donc ainsi son autonomie génétique et semencière, avec une population issue d'une sélection convergente de l'homme et du milieu et donc parfaitement adaptée à sa zone de production. Le rendement économique d'une telle production, au-delà du poste semence extrêmement faible, est sans commune mesure avec celui du maïs hybride des semenciers produit à grands renforts de pesticides, d'engrais de synthèse et d'irrigation. Par ailleurs, le niveau de protéines de ce maïs est 25 % supérieur à celui hybride des semenciers et participe ainsi à la réduction de la dépendance aux protéines Outre-Atlantique. Il y a donc là une innovation fondamentale à accompagner dont le socle trouve sa richesse et sa solidité dans le « bon sens paysan ».

3.3. Et si l'agriculture faisait (enfin !) le choix de s'attaquer franchement au changement climatique?

Plutôt que de persister dans le traitement des conséquences, dans des fuites en avant, dans des logiques curatives, pourquoi ne pas tenter d'attraper le sujet à la base et donc aux causes des difficultés climatiques auxquelles l'agriculture va être confrontée ?

Au lendemain de la conférence planétaire sur le climat COP 21 à Paris, en décembre dernier, nous pouvons, nous devons montrer que l'agriculture qui participe aujourd'hui au changement climatique (émettrice de 25 à 30 % des gaz à effet de serre), doit bien sûr s'adapter à ce changement climatique, mais peut aussi s'engager dans l'atténuation de ce changement climatique, inverser la tendance et devenir l'une des activités économiques pouvant ralentir, inverser les tendances du changement climatique, en s'affranchissant de sa dépendance au pétrole, permettant ainsi d'allumer un cercle vertueux. En effet, les mêmes engrais de synthèse et pesticides qui dégradent les équilibres, les ressources, la biodiversité sauvage et la santé des consommateurs d'ailleurs, sont tous des dérivés pétroliers et donc à l'origine d'une part importante de l'émission de gaz à effet de serre dans leur fabrication, mais sont aussi à l'origine d'émissions importantes par les sols de protoxyde d'azote (N2O), 310 fois plus puissant que le dioxyde de carbone (CO2) dans le réchauffement climatique.
Pour produire 1 hectare de blé, de colza ou de maïs, le modèle agricole productiviste mobilise entre 200 et 270 kilos d'azote par hectare, ce qui créé une dépendance au pétrole par hectare et par an, avant même de commencer à faire tourner les moteurs des tracteurs, de 300 à 400 litres de pétrole. Comment, au-delà de l'impact de ce modèle agricole sur le changement climatique, va-t-il pouvoir être l'artisan de la souveraineté alimentaire, quand en 2050 la terre sera peuplée de 9,5 milliards d'humains, et que dans le même temps…il n'y aura plus de pétrole ? Il y a donc urgence à bâtir maintenant l'après-pétrole en agriculture et à cesser la forte émission de protoxyde d'azote par les sols agricoles.

La réduction des gaz à effets de serre liés à l'agriculture constitue donc le premier axe fort de la contribution de celle-ci à l'endiguement du changement climatique. Il passe aussi par la redécouverte de pratiques agronomiques abouties, dont l'arbre agroforestier est la porte d'entrée incontournable, qui permettent de savoir mobiliser des ressources parfaitement gratuites et parfaitement inépuisables que sont la lumière, le carbone, l'azote atmosphérique, la vie des sols, la biodiversité, etc. rendu possible par la magie de la photosynthèse, par la faculté des légumineuses à développer une symbiose avec des bactéries fixant l'azote atmosphérique et par l'association de cultures sachant réciproquement tirer profit des aptitudes et des particularités de sa voisine (exemple Blé - Féverole, lentille - cameline, etc.).
La présence des arbres dans les parcelles permet aussi de bâtir de réelles alternatives à l'irrigation, par la réalimentation des nappes en hiver grâce à l'eau qui circule le long du système racinaire des arbres plutôt que de contribuer à l'érosion des parcelles cultivées, par l'épuration de cette eau par le système racinaire des arbres, par la mobilisation des ressources profondes en été, l'augmentation du taux de matières organiques des sols, permettant ainsi au sol de stocker l'eau, l'augmentation du volume de sol valorisé par les plantes cultivées sous les arbres, ou encore en créant des microclimats à l'échelon parcellaire plus favorables, sans oublier l'hébergement d'une biodiversité partenaire de l'agriculture, aussi appelée « auxiliaires de l'agriculture».

Le second axe fort est le rôle que peut jouer l'agriculture dans la séquestration du carbone
Les ruminants souvent montrés du doigt pour leurs émissions importantes de méthane (CH4) (et c'est le cas dans les modes d'élevage concentrationnaires d'herbivores qui ne mangent plus d'herbe, mais du maïs complété par du soja OGM importé), en redevenant des herbivores qui mangent de l'herbe, peuvent aussi être les acteurs de l'entretien d'espaces prairiaux remarquables, souvent patrimoniaux dans l'hébergement d'une riche biodiversité et dans leur rôle d'épuration de l'eau, qu'elle soit potable ou destinée à rejoindre la mer, et qui constituent aussi de formidables espaces de séquestration du carbone.
Les espaces dédiés aux productions annuelles de céréales, oléagineux et protéagineux, qui ne reçoivent plus de substances de synthèse (engrais ou pesticides) voient également le retour d'une vie du sol à multiples facettes, dont l'une d'elles est sa forte capacité à séquestrer du carbone.

4. Quelle « doctrine » à une logique de stockage de l'eau, si elle s'avère opportune ?

Sans remettre en cause la pertinence de l'irrigation, pour certaines productions, et l'intérêt du stockage à certaines conditions, il est nécessaire de poser des règles d'accompagnement de tels projets.

4.1. Hiérarchiser les priorités et assurer la mise en cohérence avec les volumes prélevables

-1. Les volumes prélevables d'été sont connus pour l'ensemble des bassins versants.
Il est donc aisé d'imaginer pouvoir établir des priorités et privilégier :
o 1. Les productions à fortes valeurs ajoutées, comme les légumes, les fruits, le tabac.
o 2. L'autonomie alimentaire des élevages, tant sur le plan énergétique (productions alternatives au maïs comme le triticale, le sorgho, ou même le maïs population), que sur le plan protéique (féverole, lupin, pois protéagineux ou même soja irrigué).
-2. La confrontation des besoins en eau pour ces productions avec ceux des volumes prélevables d'été permet d'identifier les potentiels besoins de stockage pour permettre de soutenir ces productions qui s'inscrivent dans une logique économique et écologique vertueuse.
-3. La réalisation de stockage sera bien entendu précédée d'une évaluation des volumes prélevables d'hiver.
-4. Remplissage avec des eaux de surface en période de crue.

4.2. Quel statut pour ces équipements de stockage ?

Dans la mesure où ils s'inscrivent dans une approche vertueuse et qu'ils visent au stockage d'une ressource qui est un bien commun, il est préférable d'envisager que l'équipement de stockage soit porté par une collectivité publique (EPCI par exemple qui par ailleurs va se voir attribuer la compétence GEMAPI), permettant l'atteinte d'un financement 100% public, et surtout d'une gestion publique de l'ouvrage, par la mise en place,  par exemple, d'une Commission Locale de l'Eau dédiée, qui chaque année, sur la base de candidatures étayées, assurera la répartition cohérente des volumes stockés.

4.3. Quid de l'irrigation du maïs hybride ?

Au-delà d'un régime d'aides PAC extrêmement favorable depuis 23 ans pour cette culture et justifié par « l'accompagnement aux investissements pour l'irrigation », le maïs est souvent présenté comme une production rentable, voire même la plus rentable. Il n'est donc pas décalé de considérer que si cette production est rentable, elle est en situation de pouvoir supporter, sans argent public supplémentaire à ces 23 ans de PAC déjà acquis, les investissements nécessaires à sa production. Or, c'est 70 % d'argent public sollicités, en plus des 23 ans de PAC déjà consentis, pour accompagner la création de ces équipements, avec des incertitudes nourries sur l'efficacité de la démarche pour retrouver les équilibres, une bonne gestion des ressources, les biodiversités, le climat et la santé.
Il est donc imaginable, une fois les garanties acquises que la ressource existe pour réaliser le remplissage de la retenue, que les stockages dédiés à la maïsiculture de vente, soient exclusivement financés par les maïsiculteurs concernés.

Voilà quelques axes de réflexion à une meilleure gestion de la ressource en eau, tant sur le plan quantitatif que qualitatif, qui en fait sont des enjeux intimement liés, et des propositions de solutions respectueuses de la ressource en eau et des deniers publics, afin de sortir des fuites en avant, tournées vers les logiques curatives, et enfin avancer vers des stratégies préventives et d'anticipation, convoquant une approche globale de la gestion de l'eau et une vision à long et très long terme.

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