Par Génération-s le mardi 5 novembre 2019
Catégorie: Transition démocratique

Introduction au dossier : Kurde

Après bien des tergiversations, Donald Trump a pris la décision de retirer les 2 000 agents des forces spéciales américaines présents dans le Nord de la Syrie qui œuvraient à la lutte contre l'Etat islamique et entravaient l'offensive turque dans le Nord de la Syrie. Ce faisant il a sciemment exposé les Kurdes de Syrie aux foudres d'Ankara. Deal cynique avec Ankara et Moscou ? Lâcheté dictée par des considérations de basse politique interne ? Sur le terrain, ce blanc-seing donné à Recep Tayip Erdogan a ouvert la voie à l'offensive militaire turque « source de paix » (sic !) en préparation depuis des mois. Ce drame doit être ausculté en des termes à la fois stratégiques, historiques et diplomatiques. 

Du point de vue stratégique : en lâchant nos partenaires les plus fiables et loyaux qui affrontent l'Etat islamique, pourtant loin d'être défait, Donald Trump a conféré un ascendant stratégique au régime de Bachar al-Assad et à son partenaire russe qui dictent et recomposent l'équilibre de la région à leurs conditions. Le régime de Bachar al-Assad qui se pose traditionnellement en protecteur des minorités a donc envoyé des unités militaires pour protéger la souveraineté nationale du territoire syrien, quelques jours après l'offensive turque. C'est un retournement majeur puisque les Kurdes de Syrie, intégrés au sein des Forces démocratiques syriennes (FDS) anciennement soutenus par les Occidentaux, ont affronté à plusieurs reprises le régime de Damas.

Historiquement, les Kurdes ont, à plusieurs moments de l'histoire du Moyen-Orient, servi de variable d'ajustement. Il en a toujours été ainsi dans ce Proche-Orient des accords Sykes-Picot dans lesquels les Kurdes ont été considérés, pour des raisons politiques et d'opportunité, comme quantité négligeable. Leur ensemble territorial géographique s'est alors trouvé partagé entre la Turquie naissante de Mustapha Kemal, l'Iran et deux Etats en devenir qu'étaient la Syrie et l'Irak. La nation kurde revendiquée par plusieurs partis et organisations kurdes n'a jamais eu la moindre effectivité dans les négociations internationales. A l'exception de l'Irak, où la communauté internationale, et au premier chef les Etats-Unis, a encouragé dès 1991 l'émergence d'un Kurdistan autonome au sein d'un Etat irakien étiolé, les Kurdes sont partout minoritaires, au mieux reconnus comme tels, au pire combattus. En Syrie ils sont aujourd'hui menacés à la fois par les forces armées turques, les forces du régime, et des restes épars de l'Etat islamique
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Au-delà, cette séquence démontre l'absence de vision stratégique des Occidentaux sur le dossier syrien à l'inverse de la Turquie, de la Russie ou de l'Iran. Au regard du rôle incontournable que les Kurdes de Syrie ont joué dans la guerre contre l'Etat islamique mais aussi de celui que la France prétend jouer au Proche-Orient, Paris ne peut se contenter de la passivité exprimée par le Président de la République. A ce stade, clamer diplomatiquement que l'intégrité de la communauté kurde de Syrie doit être respectée ne suffit plus. En évacuant ses forces, Washington laisse la communauté kurde de Syrie en prise avec ses adversaires traditionnels. A plus ou moins brève échéance, et, dans le cadre du mandat conféré à la coalition internationale, la France peut et doit, avec l'appui des Européens, occuper cette place vacante. Il s'agit pour la France de cristalliser un rapport de forces en cours de redéfinition entre les parties prenantes et saisir l'opportunité de reprendre la main sur un jeu où Moscou et Téhéran dictent les règlent.
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