Le constat est récurrent : les villes françaises souffrent d'un important déficit d'espaces de nature en ville notamment en comparaison avec des villes d'Europe du Nord. Nous entendons ici par nature en ville les espaces à caractère naturel, c'est-à-dire pourvus d'un sol perméable et d'une végétation où cohabitent nature et citadins. On observe en outre une répartition inégale de ces espaces, tant au niveau de leur quantité que de leur qualité et de leur statut, public ou privé.
Dans les quartiers aisés, on trouve une diversité d'espaces publics de qualité, aménagés et entretenus – rue et boulevards arborés, squares, parcs, bois, proposant aux citadins de nombreux usages conviviaux, ludiques et sportifs. Ces espaces participent largement à l'attractivité du quartier. Les arrondissements et communes du sud-ouest parisien en sont un bon exemple (cf. carte cicontre).
D'autres quartiers, d'une très forte densité bâtie, manquent d'espaces de nature et des aménités qu'ils apportent, à l'instar des arrondissements du nord et de l'est parisien. La situation est encore différente dans la périphérie des métropoles, où la densité bâtie est moindre.
Les espaces ouverts y sont souvent délaissés : bas-côtés des autoroutes et des lignes ferroviaires, vides interstitiels autour des zones commerciales ou d'activités, friches industrielles et portuaires. Inaccessibles, réservés à des usages informels ou transgressifs, ils sont mal perçus et mal vécus par les habitants. Le cadre de vie est ainsi ressenti comme dégradé. Ce qui s'ajoute à la difficulté économique de ces territoires, à leur faible offre culturelle et de services, à une mobilité plus difficile, aux nombreuses nuisances et pollutions subies.
Avec le réchauffement climatique et des périodes de canicules de plus en plus étendues, pesant sur la santé de la population, ces inégalités risquent de s'accentuer.
Par l'effet cumulé de l'ombrage et de l'évapotranspiration de leur feuillage, les arbres sont les climatiseurs des villes : un alignement peut baisser de 3° la température d'une rue. La capacité des arbres à filtrer l'air pollué (un rapport international estime à 50 % la diminution de la teneur en particules fines à proximité des arbres) donne à la ville un air plus sain, plus respirable, pouvant réduire significativement les maladies dues à la pollution de l'air. Le sol fertile, par nature perméable, participe à la gestion des eaux pluviales et à l'atténuation du risque d'inondation. Arbres et sols captent une part non négligeable des émissions du CO2 produit par la ville et concourent ainsi à une baisse des émissions des GES. Quand ces espaces favorisent, par leur qualité, le déplacement non motorisé, ils font diminuer la circulation automobile et les pollutions engendrées. Par conséquent, ces espaces apportent de nombreux bienfaits immatériels : santé, bien-être favorisé par la convivialité, plaisir esthétique. Ils permettent de mieux faire face aux défis climatiques de demain.
Et aussi des bénéfices économiques : baisse des coûts de santé, hausse de la valeur immobilière et de l'attractivité touristique (hôtellerie, restauration, commerces).
En dix ans, la circulation automobile à Paris a baissé de 30 %. Des aménagements récents laissent une large place aux piétons et cyclistes (place de la République, voies sur berges). Le plan Vélo Paris estime que 15 % des déplacements se feront à vélo d'ici 2020. N'est-il pas temps de mettra fin à la domination, historiquement éphémère, de l'espace public par l'automobile ? Qu'elle soit en circulation ou en stationnement, sa présence doit se faire plus discrète, la place qu'elle occupe plus réduite. Et si on profitait de cette opportunité pour réorganiser radicalement l'espace public, la rue ? Au bénéfice des promeneurs, des cyclistes, des enfants.
Mais aussi pour faire place à la nature. Et si on soulevait la chape de béton pour retrouver le sol fertile ? Plus perméable, aéré, le sol peut accueillir une biodiversité, des plantes, des arbres.
Quand le sol s'aère, le citoyen respire.
Les espaces oubliés, les terrains délaissés offrent un potentiel immense. Ce sont de réels réservoirs de biodiversité dont la qualité des sols est parfois plus riche que celle des quartiers aisés. Et si, pour faire face aux déséquilibres et aux défis climatiques grandissants, on y plantait massivement des arbres ? En rendant ces terrains accessibles, on offrira aux habitants un nouveau cadre de vie, de nouveaux usages. On donnerait de nouveau envie d'habiter dans ces quartiers-là, pour une meilleure mixité sociale et un meilleur équilibre territorial.
Mais seuls des investissements conséquents permettront une réappropriation collective de ces espaces.
Que font les pouvoirs publics ?
En Île-de-France, le plan vert régional a soulevé des espoirs en 2016. Il s'était donné comme objectif de créer 500 hectares de nouveaux espaces verts et boisés avant 2021 (restant néanmoins largement inférieur à l'objectif du SDRIF 2013 de créer 2800 ha d'espaces verts et forestiers d'ici 2030). L'objectif étant de rééquilibrer les 935 communes franciliennes carencées, où les 10 m² d'espaces verts par habitant recommandés par l'OMS ne sont pas respectés. Or, à ce jour, seuls 13 projets, recouvrant 7 hectares, ont été soutenus.
Regardons du côté du budget. La création d'un espace de nature, selon le type du foncier (public ou à acquérir), la qualité du sol initial (naturel ou imperméabilisé, saint ou pollué) et la nature des aménagements à prévoir, peut nécessiter un budget entre 300 000 € et 2 M€ par ha, avec une moyenne d'1 M€. La volonté de créer annuellement 100 ha d'espace de nature devrait donc être accompagnée d'un budget d'environ 100 M€ par an. Or, le budget régional, prévu pour 2018, est de 16,5 M€ et le budget réellement fléché, pour l'instant, de 500 000 €5. Nous sommes bien loin du compte.
Face à l'échec de la politique néolibérale en matière d'urbanisme, n'est-il pas de notre responsabilité de proposer un projet d'investissement à la hauteur des enjeux, pour mieux rééquilibrer les territoires et mieux préparer les villes aux défis de demain ? Ne faudrait-il pas pour cela envisager un réel plan d'action et d'investissement en faveur de la nature en ville, à l'échelle de celui mené par Haussmann et Alphand au XIXe siècle ? Une transformation radicale des espaces publics au profit d'une plus grande perméabilité, fraîcheur et respiration et uneappropriation collective des friches et terrains en mutation.
En somme, face aux conditions de vie urbaine devenant difficile, au déficit flagrant d'espaces de nature, à l'inégalité de la répartition de ces espaces entre les villes et entre les quartiers, il est de la responsabilité des pouvoirs publics d'investir massivement dans les espaces de nature au vu des bénéfices multiples qu'ils apportent aux citoyens. Seule cette révolution verte du XXIe siècle pourra garantir demain une ville plus respirable, plus habitable, plus désirable.
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