Face à l'arrivée massive de la grande distribution et de l'agro-alimentaire sur le secteur « du marché bio », comment les circuits de proximité de « la bio » vont-ils pouvoir résister à une « conventionnalisation » de la filière (importations plus soutenues, spécialisation plein champ, baisse des prix etc.) ? Comment différencier cette offre locale bio pour maintenir un niveau de prix rémunérateur pour les agriculteurs-trices et organisations collectives de production ? Les acteurs « historiques » seront-ils capables d'accompagner ce changement d'échelle – enjeux logistiques et économiques - en conservant une structuration originale (relation directe au consommateur) ? Les agriculteurs conventionnels pourront-ils rejoindre ces attentes sociétales en donnant de la valeur à des productions différenciées tout en maitrisant la commercialisation au local ? Par ailleurs, peut-on se satisfaire de cette « démocratisation » du bio annoncée par la grande distribution pour la rendre accessible ? N'y a-t-il pas des réponses originales à développer qui construisent de la véritable citoyenneté alimentaire pour tous ? Participative et inclusive ?
Ainsi, le Haut Conseil de Santé Publique dans son dernier avis sur le PNSS 2017-2022 prolonge les recommandations journalières sur la consommation de fruits et légumes, il précise (pour la première fois) qu'il faut privilégier la consommation de fruits et légumes bio. Pour autant le Credoc , en juillet dernier, montre que les français suivent de moins en moins cette recommandation, en particulier les populations défavorisées. Le Credoc conclut : « La mise en place de politiques publiques ciblées et de proximité est plus que jamais nécessaire pour réduire au plus vite les fractures alimentaires ».
On est là à la croisée des chemins des promesses de la bio telles que définies dans la Charte IFOAM de 1973, celles d'un projet de société basé sur les principes d'écologie, de santé, d'équité et de précaution.
Face à l'ampleur du sujet de la transition écologique et sociale de l'agriculture et de l'alimentation, on se doute qu'il s'agit bel et bien d'une révolution d'un ordre établi qu'il faut réaliser (politique agricole commune, fin des pesticides de synthèse, réglementation alimentaire etc.). On est bien là dans la fonction même du politique de légiférer, de réglementer pour changer la norme et, en fait, gouverner. Par ailleurs cette dimension normative indispensable ne suffit pas à faire apparaitre du « nouveau », on le sait, les citoyens et acteurs organisés n'ont pas attendu pour proposer des solutions. Il faut néanmoins prendre la mesure des solutions structurelles proposées de celles, plus « citoyennes », plus médiatiques, toutes utiles mais volatiles voire anecdotiques et qui font parfois écran aux vrais enjeux politiques devant nous (que penser de ce point de vue de « l'agriculture urbaine » ?).
Un exemple de solution structurelle qui fait économie sociale ET solidaire :
Cet exemple témoigne d'un système alimentaire et de production local alliant la filière bio amont (production) et le secteur de l'Insertion par l'activité économique (distribution). Le projet « Les Paniers Bio Solidaires » est né en 2010 d'une initiative collective entre 3 associations complémentaires présentes sur un même territoire (Bio Loire Océan – organisation de producteurs ; ASPIRE et le Jardin de Cocagne Nantais, 2 structures d'insertion sociale et professionnelle par l'activité économique liées au Réseau Cocagne). Face aux incohérences sociétales observées sur les filières de la consommations, l'agriculture bio et l'exclusion des personnes très éloignées de l'emploi, ces acteurs ont souhaité se mobiliser pour créer ensemble un projet apportant des réponses à ces problématiques. Aujourd'hui, BLO distribue 1800 paniers par semaine sur 5 agglomérations (Nantes, Le Mans, Angers, Cholet, Poitiers) grâce à ses partenaires de l'insertion (Jardin de Cocagne de l'Aspire, Jardin de Cocagne Nantais, Cérame Atelier et Accès Réagis) et à un réseau de180 points relais. Chaque semaine 5 000 mangeurs découvrent leurs produits, sélectionnés au fil des saisons. En 2016, 329 tonnes de fruits et légumes Bio Loire Océan ont été distribués dans 75 000 paniers Bio Solidaires. Voir également sur le même modèle : Les Paniers bio du val de Loire / Les biocabas de la coopérative Norabio etc.
Les « systèmes agro-alimentaires solidaires » sont caractérisés notamment par l'intégration de chantiers d'insertion sociale et professionnelle au sein du territoire de production et de ses organisations collectives amont. Il s'agit d'une part, de développer la production, en complément de l'offre locale de légumes bio (diversifiés et spécialisés, transformée) et, d'autre part, de renforcer ou créer des synergies économiques et professionnelles (logistique de distribution et commercialisation) tout en assurant une médiation active auprès des publics précaires (insertion socio-professionnelle, inclusion alimentaire).
Cette proposition relèverait principalement d'une politique publique nationale déconcentrée et décentralisée alliant les ministères de l'agriculture et de l'emploi, les collectivités territoriales (Région, Département, EPCI), ainsi que des acteurs institutionnels liés aux capacités d'investissements stratégiques de l'Etat (Agence bio, Caisse des dépôts etc.). Cette proposition suppose que l'Etat, dans le cadre des crédits européens notamment (FSE, FEADER), puisse financer le développement de chantiers d'insertion dans le cadre des nouveaux projets (contingents de postes d'insertion par territoires de projet, co-financement des chantiers. Un dispositif financier doit être mis en place pour financer l'ingénierie des projets solidaires territoriaux et/ou leur animation territoriale. Une gouvernance territoriale est indispensable pour le montage et la réalisation de ces projets. Notamment dans le cadre de la déclinaison des plans régionaux d'agriculture durable ou de la bio, ouverts aux acteurs de l'économie sociale et solidaire concernés. Ces projets peuvent et doivent être également intégrés aux dispositifs existants comme les Projets alimentaires territoriaux (PAT), les Projets territoriaux de coopération économique (PTCE) etc.
Exemple du projet de circuit court collectif dans le Loire et Cher, par Valérie Hanon, directrice de l'association Bio solidaire :
« Il faut sortir du raisonnement par le canal de distribution. On pense par exemple filière (RHD) ce qui pose la question des volumes et de la logistique du dernier km. Il faut raisonner par les territoires et une approche multi-canal. Nous avons proposé une expérimentation dans le département du Loir-et-Cher à partir de la réussite du programme des Paniers Val bio Centre avec 2 millions d'euros de CA aujourd'hui. Nous proposons donc de créer 4 ou 5 magasins de producteurs dans le département avec à chaque fois une entrée grand public et une plate-forme logistique pour les autres canaux (paniers, resto coll etc.). Les produits ne seraient pas uniquement bio, un chantier doit être mené sur les critères de différenciation des productions conventionnelles justifiant le juste prix de la qualité. Tout l'enjeu est de pouvoir structurer une offre de producteurs locaux regroupés, de penser et organiser la commercialisation multi-canal par territoires en organisant, par des outils numériques puissants, la planification collective des productions. Dans ce schéma de relocalisation de la production et de la distribution au plus près des attentes citoyennes, les chantiers d'insertion ont toute leur place en ce qu'ils peuvent complémenter des offres, proposer des outils de transformation, assurer de la logistique etc. (…) Ce que nous demandons aux pouvoirs publics, c'est des moyens d'ingénierie et d'animation, par exemple le financement pour l'expérimentation départementale de 3 postes pendant 3 ans ; nous demandons aussi qu'ils nous donnent de la visibilité sur la commande publique en RHD. »
Ces alliances entre l'économie sociale et solidaire et les acteurs professionnels de la bio, appuyés sur des missions d'intérêt général, génèrent des dispositifs de médiation et d'émancipation sociale autour des enjeux alimentaires. L'objectif ici est bien de sortir de la seule assistance alimentaire pour amener les publics prioritaires à être acteur de la transition écologique car c'est eux qui en ont le plus besoin. Il existe de multiples initiatives sur le territoire de lutte contre la précarité alimentaire , on peut donner ici un exemple d'innovation d'ESS présenté aux Etats généraux de l'alimentation :
L'éco-pôle alimentaire du pôle territorial de coopération économique (PTCE) en région d'Audruicq (Pas-de-Calais) : des projets économiques au service d'un modèle alimentaire durable
Un pôle territorial de coopération économique (PTCE) est un groupement d'acteurs comprenant entreprises, et acteurs de l'économie sociale et solidaire (ESS) associés à de petites et moyennes entreprises, des collectivités locales, des centres de recherche et des organismes de formation. Ce groupement met en œuvre une stratégie commune de coopération territoriale et de mutualisation au service de projets économiques innovants de développement local durable.
La communauté de commune de la région d'Audruicq (26000 habitants), entre Calais et Dunkerque soutient le projet fondé sur une volonté de créer un nouveau modèle, fondé sur l'ESS, sur la base de trois constats : Le modèle alimentaire dominant est enfermé dans des impasses économiques ; Sa gouvernance et sa transparence ne répondent pas aux exigences démocratiques actuelles ; Les enjeux écologiques et sociaux y sont souvent traités séparément.
Le projet est fondé sur trois éléments : L'existence d'un lieu de ressources opérationnelles pour dessiner un avenir agricole souhaité ; Avoir une plate-forme de production biologique et de distribution-multicanal et en diffus ; Une organisation d'éducation populaire spécialisée sur la mobilisation des publics à partir des questions alimentaires. Le projet « d'archipels nourriciers » dans le bassin minier de Lens-Loos-en-Gohelle a d'ailleurs reçu le prix PNA 2018 dans la catégorie justice sociale (ateliers participatifs avec les habitants pour plantation de vergers nourriciers, d'élevage de poule, de micro-fermes urbaines, avec une logique de valorisation du temps par une monnaie locale).
L'Eco-pôle permet la coordination des différents acteurs dans une approche globale, synergique entre la composante production AB/transformation/distribution et l'éducation des personnes à une meilleure prise en compte du fait alimentaire dans leur quotidien, compte tenu des différents enjeux liés à une alimentation durable (santé, goût, vivre ensemble, environnement, emplois). Une vingtaine de producteurs sont associés pour construire l'offre de produits bio locaux, un atelier de transformation a été mis en place, des actions de mise en marché dont un système de livraison spécialisé sur le diffus sur 80 points relais, des actions d'essaimage…
L'Ecopôle a aussi pour particularités :
A cet effet, l'Eco-pôle se revendique et incarne une doctrine économique nouvelle, adaptée aux enjeux de la transition écologique et sociale de l'économie : « l'Economie de la Fonctionnalité et de la Coopération » (EFC). Il dispose d'un budget de 1M€ annuel, dont 70 % sont relocalisés. Il a permis la création de 50 emplois directs en économie sociale et solidaire.
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