Constats. Le monde globalisé, tel que qu’il a été construit depuis les années d’après guerre, est confronté aux effets du dérèglement climatique. Mais, pour la première fois de son histoire, avec la l’épidémie du Coronavirus, il affronte une crise d’une ampleur planétaire simultanée, dont les conséquences économiques et sociales seront sans doute dramatiques et durables. Cette crise mets en lumière des évolutions néfastes dans l’organisation des territoires. Si dans certains domaines les États et les pouvoirs publics ont confié certaines de leurs compétences à des organisations supérieures dans une logique de coopération (ONU, UNESCO, OMS) que nous soutenons, ils ont laissé leurs capacités de production et de gestion aux logiques de marché sur des pans entiers de leur économie. Ceci a entraîné une perte de capacité d’action et de résilience des États au profit d’une logique de compétition entre les territoires.
Cette logique globalisante, libérale, fondée sur la croissance et le productivisme, a engendré le développement de politiques d’aménagement du territoire basées sur le gigantisme et l’uniformisation (métropolisation, méga-régions…) et laissé des territoires livrés à eux-mêmes, sans solutions durables pour faire face à la concurrence industrielle et agricole. Nous avons ainsi généré de nouvelles fractures territoriales, profondes, incarnées dans une dépossession des biens communs couplée au recul des solidarités au profit de la concentration des richesses (accès à l’emploi, à la santé ou aux savoirs ; délitement du tissu productif face à une hyper-concentration des leviers économiques dans les villes-monde ; atteintes durables à l’environnement et accaparement des biens communs par le privé…) et prédation exponentielle sur la nature.
Enjeux. S’il paraît indiscutable que le processus de métropolisation des territoires s’est accéléré à compter de la fin des années 1980, partout en Europe et dans le monde, et que les fractures territoriales qui en ont été les conséquences ont plongé les territoires ruraux dans un exode et une dévitalisation massifs, il convient, si on veut penser les territoires ruraux de demain, de ne pas entrer sur cette problématique au travers des seuls rapports d’interdépendance entre métropoles et territoires ruraux. Le risque serait de poursuivre des réflexions visant à ne faire des territoires ruraux que les réceptacles de solutions aux problèmes des métropoles, fabriquant des hinterlands redynamisés produisant ce que les villes-centres ne sont pas en mesure de produire (secteur secondaire, agriculture…) et recevant tout ce que la ville “écologisée” ne voudrait plus voir (industries lourdes, logistique, infrastructures…).
Les territoires ruraux sont confrontés à des difficultés intrinsèques (vieillissement des populations, éloignement des services publics, désertification des centre-bourgs, disparition de l’agriculture paysanne) qu’il nous faut considérer et auxquelles il nous faut trouver des solutions, à partir des territoires ruraux, pour les territoires ruraux. Toutefois, rompre avec les modes de pensées de l’aménagement du territoire français basé sur les métropoles d’équilibre des années 80, c’est nécessairement repenser les rééquilibrages économiques et démocratiques entre toutes les collectivités locales. Rééquilibrages qui doivent être opérés de toute urgence pour que puissent continuer d’exister les communautés humaines dans ces territoires.
Deux logiques semblent alors devoir s’affronter : partir de l’humain et du développement de ses activités dans des territoires en déshérence afin de procéder à un asservissement des milieux naturels pour remplir l’ensemble de nos besoins qui ne cessent de croître (c’est ce que la plupart des sociétés actuellement développées ont choisi de faire), ou
partir des limites des milieux et de leur capacité de régénération pour moduler nos activités humaines, les adapter et réduire leur impact.
Nous choisissons cette seconde voie. Nous croyons que les sociétés humaines peuvent intégralement se repenser en fonction des capacités des aires territoriales qu’elles occupent. Nos modes de socialisation et de développement peuvent être repensés en nous appuyant sur la prédominance du retour au “bien commun”, libéré de l'accaparement par la recherche de profits, démocratiquement autogéré, et sur la reconstruction de relations de co-évolution entre les établissements humains et le milieu ambiant : valoriser des modes d’habiter respectueux de l’environnement et favorisant des rapports humains apaisés ; produire et autogérer les ressources nécessaires à la continuité de notre subsistance tout en protégeant et perpétuant un patrimoine territorial -- en capacité de régénérer les richesses naturelles qu’il nous apporte. Nous considérons que les pistes évoquées par le mouvement des territorialistes, né en Italie dans les piémonts de Toscane, et théorisé par Alberto Magnaghi autour de la figure des biorégions urbaines, sont celles qui nous permettront d’envisager un nouvel avenir de résilience pour nos territoires ruraux.
Propositions. Pour pouvoir mettre en oeuvre ce projet de territoire d’un nouveau genre, répondant aux défis contemporains, il sera nécessaire, en préalable, de donner les moyens démocratiques, opérationnels et économiques suffisants aux collectivités rurales pour assurer leurs missions. Les institutions démocratiques sont à repenser pour faire aboutir la
décentralisation (T1) et permettre une meilleure prise en main par les citoyen.ne.s .
Il s’agit d’un projet intégral, qui repense chaque parcelle de son territoire, en fondant son développement sur les “éléments constructifs” pensés en interdépendance et en appui sur des
projet de paysage (T5), reconstruisant ainsi les liens entre les cultures et savoir-faire locaux valorisés, les équilibres et qualités préservés des systèmes naturels territoriaux et des
biens communs environnementaux protégés (VR1).
Nous souhaitons favoriser le développement de
communautés de solidarités sur les territoires ruraux. Soutenir les modèles de solidarité qui s’inventent et se mettent en place dans les villes comme dans les campagnes. Qu’ils s’appellent AMAP, troc, ou prennent la forme de
monnaies locales(VR11) complémentaires, ils revisitent le rapport à l’échange et à l’économie en permettant de relocaliser et tracer les échanges, d’être porteur de valeurs propres à chaque territoire.
Dans le cadre d’une approche internationale et européenne marquée par les exigences écologiques et sociales, les systèmes économiques locaux sont à repenser, à baser sur les ressources locales réelles, sur les espaces agro-forestiers préservés et multifonctionnels, sur les capacités d’autosuffisance alimentaire des territoires, sans négliger les coopérations entre l’urbain et le rural, mais actant le rejet du CETA, TAFTA, du Mercosur et imposant un moratoire sur les traités de libre-échange. Le nouveau développement des territoires ruraux est à accompagner par des
projets utiles (T4) et par une planification de la production et la consommation d’énergie à partir des
ressources énergétiques locales (T3).
Ces territoires résilients anticipent les risques et planifient les actions d'adaptation nécessaire. Cela passe, en ce qui concerne les risques naturelles par exemples, par une adaptation des territoires littoraux au
recul du trait de côte(T6). Pour mieux maîtriser les risques technologiques, nous proposons de développer une
culture du risque (T7), de mettre en cohérence des politiques publiques avec les risques encourus par la population d'un territoire et de développer une nouvelle
politique industrielle à l’échelle des territoires (T9).
La résilience des territoires passe également par une recherche de la
sécurité alimentaire et sanitaire (T8) et par une structuration de l’
organisation territoriale de la santé (T11) pour lutter contre les inégalités et garantir une bonne santé à tous. Enfin, il est nécessaire de redéployer les
services publics de proximité (T10) dans les espaces ruraux pour lutter contre la désertification et favoriser les dynamiques de proximité.
Au travers de ces nouveaux équilibres, nous pouvons construire un tissus territorial innovant qui respecte l’humain et son environnement. Un écosystème global ouvrant à chacun les opportunités de son développement et de sa protection sans hypothéquer notre place dans un univers de plus en plus changeant et souvent menaçant.
L'ensemble de ces propositions est issu d'un travail collaboratif mené par Lisa Belluco, Alice Brauns, Cécile Couchoud, Bernard Drobenko, Olivier Jourdan, Jean-Noël Lafaille, Yannick Meneux, Valérie de Saint-Do, Clément Pecqueux, Georges Rao, Ekaterina Vlassova.