Cette contribution vient en complément de celle publiée dans le thème "Des villes plus résilientes – Vers un habitat écologique pour tous.tes"
LA FILIÈRE BOIS EN FRANCE : UNE RESSOURCE NATURELLE RENOUVELABLE DONT LA GESTION ACTUELLE MET EN DANGER LA BIODIVERSITÉ
ETAT DES LIEUX DES RESSOURCES FORESTIERES
La forêt en France métropolitaine recouvre aujourd'hui 16 millions d'hectares, soit environ un tiers du territoire. La France arrive ainsi au cinquième rang européen en matière de surface forestière, derrière la Russie, la Finlande, la Suède et l'Espagne (respectivement 29, 22, 16 et 16 millions d'hectares). Cependant, la France se distingue en disposant de la première surface de feuillus d'Europe (10,3 millions d'hectares, ce qui fait donc 5,7 millions d'hectares de résineux) et, surtout, par la grande diversité des essences disponibles (136 recensés par le Ministère de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt en 2011). Les essences les plus représentées sont le chêne (27 %), les pins (22 %) et le hêtre (11 %). En termes de volumétrie utile, cela représente 1 594 millions de mètres cubes de feuillus et 880 millions de mètres cubes de résineux.
LES DANGERS LIES À LA SUREXPLOITATION PRIORITAIRE DU DOUGLAS
Depuis que le territoire national est occupé (ou du moins, depuis l'époque gallo-romaine), les constructions vernaculaires se sont attachées à exploiter les essences disponibles sur place, privilégiant ainsi les ressources disponibles immédiatement et en grande quantité. Le riche patrimoine français de bâtis anciens en chêne, châtaignier et pin en atteste.
Cependant, depuis la seconde partie du XX ème siècle et en ce début du XXI ème siècle, une essence prend le pas sur toutes les autres : le Douglas, ou pin d'Oregon, qui, comme son nom l'indique, est originaire d'Amérique du Nord. Il a été introduit en Europe, via la Grande Bretagne, en 1830. Ne couvrant que 4 % du territoire, le douglas n'est que du troisième résineux par sa présence. Pourtant, il est, de très loin, le premier résineux en termes d'exploitation : la France en est d'ailleurs le premier producteur européen.
Cette asymétrie n'est pas sans poser problème. En effet, bien que le Douglas ait de nombreuses qualités économiques (quasiment dix fois moins cher que le chêne), mécaniques (il s'agit d'une essence très prisée en structure) et plastique (il se retrouve sous forme brute, en lamellé-collé, reconstitué, déroulé en panneaux, etc.), son cycle de vie très court (une dizaine d'année par rotation, contre au minimum 50 ans pour le chêne) et sa monoculture entraîne un appauvrissement des sols et de la biodiversité (aussi bien faune que flore) partout où il est cultivé. De plus, n'étant pas naturellement imputrescible, il nécessite un traitement thermochimique (donc polluant) avant sa mise en œuvre en extérieure, ce qui n'est pas le cas d'essences locales naturellement résistantes et sous-exploitées comme le châtaignier (5 % de couverture du territoire, la France en est le deuxième producteur européen après l'Italie).
L'usage intensif du Douglas et ses désagréments connexes mettent donc en lumière ce paradoxe : tous les bois à construire ne sont pas bons pour l'environnement. Et il ne s'agit que de « l'arbre qui masque la forêt » puisque la filière française du bâtiment est très gourmande en bois d'importation, qu'il s'agisse du mélèze (cultivé en Sibérie), du pin Sylvestre (cultivé en Scandinavie), du Tek et de l'Iroko (importés d'Asie et d'Afrique), souvent utilisés pour leurs vertus mécaniques, hygrologiques, et parfois simplement ornementale (cas des bois exotiques tels le Padouk, le Sycomore, le Zebrano, etc.) alors que l'impact de leur surexploitation sur les forêts tropicales est aujourd'hui bien connu et qu'il existe déjà des essences locales françaises aux caractéristiques similaires (Robinier, Châtaignier, etc), mais certes moins prestigieuses.
Dans le cadre d'une éco-construction idéale, le recours à des essences locales, issues d'une culture encore plus respectueuse que les normes FPC et PEFC (fortement critiquées pour leur laxisme), est à privilégier. De même, l'usage de ces essences doit s'effectuer avec un minimum de transformation et d'adjonction de produits issus de la pétrochimie (les planches en lamellé-collé et l'OSB, très en vogue, ont massivement recours à des colles polyuréthanes chargées en formaldéhydes) et de la sidérurgie, en privilégiant celles disponibles dans un voisinage raisonnable de leur lieu de mise en œuvre final, dans un soucis de réduction des pollutions liées aux transports. De plus, alors que la filière bois, qui a une vingtaine d’années d’avance sur les autres éco-matériaux, est aujourd’hui relativement bien structurée, il ne faut pas oublier que la production nationale ne pourra pas faire face à l’ensemble des besoins : par exemple, l’ambition affichée de recourir massivement au bois français pour la construction du village olympique 2024 n’est pas réaliste.
EVOLUTION DES POLITIQUES SYLVICOLES
Il est dès l'ors urgent de reconsidérer la politique de la sylviculture en France ainsi que ses débouchés industriels dans le cadre de l'éco-construction. Pour ce faire, plusieurs leviers peuvent être actionnés :
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Favoriser l'usage d'essences locales, et de préférence feuillues, dès lors que cela est techniquement possible.
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Financer des études techniques systématiques de TOUTES les essences disponibles sur le territoire français (métropolitain et outre-mer) par le CSTB afin d'éviter le recours systématique au tout Douglas et faire (ré)émerger des essences plus appropriées et ne nécessitant pas de traitements complémentaires.
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Soutenir l'écosystème des petites scieries locales, afin de favoriser les circuits courts et limiter l'emprise des grands groupes industriels du secteur.
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Interdire les monocultures sylvicoles, nuisibles à la biodiversité et, au même titre que n'importe quelle monoculture agricoles, contribue à l'appauvrissement des sols.
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Limiter les importations d'essences étrangères et les
interdire lorsqu'il existe déjà une essence locale aux propriétés mécaniques et sanitaires équivalentes.
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Créer une filière nationale de bois de réemploi.