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SITUATION POLITIQUE - les Kurdes en Iran

Le Kurdistan iranien compte 10 millions d'habitants, ce qui représente 13 % de la population iranienne. Sa capitale est située à Mahabad. Il s'étend notamment sur la province iranienne du Kurdistan.

L'Iran est le seul pays dans lequel les Kurdes ont eu une reconnaissance étatique. L'expérience n'a cependant pas été de longue durée, car la République de Mahabad proclamée le 22 janvier 1946 par Qazi Muhammad, n'a pas résisté à l'attaque des troupes iraniennes le 27 novembre 1946. Qazi Muhammad a été jugé et pendu en 1947. La République de Mahabad, bien qu'éphémère, reste emblématique dans l'histoire kurde.

Ainsi, si l'État iranien reconnaît la langue et la culture kurde, il n'a concédé aucune d'autonomie politique ni administrative malgré l'existence de la province du Kurdistan. La répression de toute contestation kurde en Iran donne couramment lieu à des arrestations et à des condamnations, voire des cas de tortures et d'exécutions. Surtout, les provinces peuplées à majorité de Kurdes sont lourdement touchées par la pauvreté. 

À l'instar de ceux de Turquie, d'Irak et de Syrie, les Kurdes d'Iran sont l'objet de politiques discriminatoires mises en œuvre par Téhéran, malgré la relative tolérance que le régime leur octroie, notamment en matière culturelle : certains médias sont diffusés en langue kurde et les traditions vestimentaires et musicales kurdes sont reconnues.

Ces discriminations sont régulièrement documentées par des ONG ou l'ONU. Le 16 août 2019, le rapporteur spécial de l'ONU pour les droits de l'Homme en Iran Javaid Rehman indiquait que les Kurdes représentaient près de la moitié des prisonniers détenus pour atteinte à la sécurité nationale et, la plupart du temps, étaient condamnés à des peines plus sévères que les autres.

De plus, les provinces peuplées à majorité de Kurdes sont volontairement négligées par le pouvoir et figurent en deuxième et troisième position des régions les moins développées d'Iran. Outre cette marginalisation économique, les discriminations à l'endroit des douze millions de Kurdes iraniens sont également d'ordre socioculturel. 

La langue kurde n'est pas officiellement reconnue par Téhéran qui en a interdit l'apprentissage dans les écoles ; certains prénoms kurdes sont refusés par l'état civil, tandis que des pratiques d'expropriation forcée menées par l'État iranien au profit de citoyens chiites — les Kurdes sont majoritairement sunnites —, sont régulièrement dénoncées par des ONG comme Amnesty International (cf. son rapport annuel 2017/2018).

Cinq mouvements sont logés au sein de la Région autonome du Kurdistan (RAK) d'Irak d'où ils préparent leurs opérations, et projettent leurs attaques sur la frontière ou dans les provinces frontalières (essentiellement celles d'Azerbaïdjan occidental, du Kurdistan et de Kermanshah). Ils sont de plus en plus redoutés par Téhéran en raison du choix idéal de proxy (intermédiaire) qu'ils représenteraient pour les États-Unis en cas d'escalades militaires avec l'Iran. 

De nos jours, cinq groupes armés kurdes sont en activité :

  • Le Parti démocratique du Kurdistan d'Iran : c'est le plus important de ces groupes, ou du moins celui qui retient le plus l'attention de Téhéran. Dirigé depuis 2010 par Moustafa Hijri, après une décennie d'inactivité militaire, il a repris les hostilités contre l'Iran en avril 2016. Il dispose de plusieurs milliers de peshmergas (combattants kurdes irakiens et iraniens). Bien équipés et entraînés, ils mènent essentiellement des actions de harcèlement contre les forces iraniennes. Des groupes spéciaux, dits « Aigles de Zagros » lui permettent de conduire des opérations de commandos dans la profondeur du dispositif iranien. Cette structure mobile et efficace fait du PDKI la figure de proue des opérations militaires menées par les Kurdes iraniens.
  • Le Parti pour une vie libre au Kurdistan (PJAK) : avatar iranien du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), constitue la 2ème force politico-militaire majeure. Créé en 2004, il est en concurrence directe avec le PDKI et ne bénéficie que très peu des succès militaires et diplomatiques. Doté d'une branche armée d'environ 3 000 hommes, le PJAK reste relativement discret et ne combat que très rarement les troupes iraniennes. Cette réserve tranche avec les attaques quasi quotidiennes que le PJAK lançait en 2010. Elle s'explique sans doute par la vaste opération lancée par l'armée iranienne en 2011 contre ses positions dans les monts Zagros. À partir de 2017 notamment, le PDKI est approché par les États-Unis qui envisagent de l'utiliser afin de priver l'Iran du contrôle de sa frontière occidentale.
  • Le Komala,
  • Le Parti de la liberté du Kurdistan
  • Et le Parti démocratique du Kurdistan (Iran).

Des accords de cessez-le-feu de plus ou moins longue durée avec les militaires iraniens ont cependant permis d'éviter que le conflit ne gagne en intensité. Si l'idéologie de ces groupes diffère, passant du nationalisme à l'utopie révolutionnaire, tous semblent s'être accordés sur l'impossibilité d'obtenir un État kurde indépendant et détaché de l'Iran. Leur objectif est donc de parvenir à une situation similaire à celle du Kurdistan irakien : une région autonome au sein d'un État fédéral, la reconnaissance de leur identité et le respect de leurs droits sociopolitiques.

Cette volonté commune s'est illustrée par l'établissement, en 2018, d'un Centre de coopération des partis politiques du Kurdistan iranien à l'initiative du PDKI. Le PJAK, considéré comme un parti « d'étrangers » en raison de sa proximité avec le PKK turc, n'a pas été convié à rejoindre cette plateforme de coopération.

Face à cette reprise des hostilités, la réponse de Téhéran ne s'est pas fait attendre : dès le mois de décembre 2016, une double attaque à l'engin explosif a ciblé le QG du PDKI à Koysandjak, au Kurdistan irakien, tuant plusieurs peshmergas et employés locaux.

Le 8 septembre 2018, sept missiles iraniens s'abattent sur le quartier général du Parti démocratique du Kurdistan d'Iran (PDKI) à Koysandjak, près d'Erbil, causant la mort de 18 de ses membres et en blessant 50 autres. Les Gardiens de la révolution revendiquent la paternité de la frappe, clamant avoir « puni […] les terroristes menant constamment des attaques contre les frontières de la République islamique d'Iran » et promettant de « mettre fin prochainement aux activités des transgresseurs ». Pourtant 9 mois plus tard, les mêmes protagonistes étaient assis à table des négociations afin de déterminer d'un « cessez-le-feu ». Plus récemment encore, l'artillerie iranienne a bombardé à plusieurs reprises les positions des insurgés dans les montagnes irakiennes.

Tandis que les tensions entre Washington et Téhéran s'exacerbent, la situation des Kurdes en fait un enjeu géopolitique majeur. En raison de leur activisme militaire et du rôle qu'ils pourraient être amenés à jouer dans le cas d'un conflit armé entre les États-Unis et l'Iran, ces mouvements ont été approchés en différentes occasions par les deux protagonistes.

L'intérêt des Américains pour le PDKI est évident : en août 2017, avant d'être nommé conseiller à la sécurité nationale, John Bolton publiait un éditorial dans lequel il appelait l'administration américaine à s'entendre avec les minorités ethniques d'Iran, au premier rang desquelles les Kurdes, les Arabes du Khouzistan et les Baloutches, afin de créer un réseau d'alliés régionaux contre l'Iran. La même année, un rapport de l'influent think tank Center for Strategic and International Studies suggérait que les Etats-Unis soutiennent les Kurdes iraniens afin de déstabiliser l'Iran de l'intérieur. Le PDKI était toutefois sceptique, jugeant notamment les Etats-Unis peu loyaux vis-à-vis de leurs alliés. En juin 2018, le secrétaire général du parti se rend à Washington à l'invitation des autorités américaines où il est reçu par des responsables du département de la défense, dont celui des questions iraniennes.

En fait, il n'est pas question que les Kurdes iraniens forment les « bataillons » terrestres d'une guerre contre l'Iran comme les Kurdes syriens l'ont été contre l'organisation de l'État islamique. Il s'agirait de priver l'Iran de la maîtrise de sa frontière occidentale par laquelle elle communique avec le Hezbollah libanais, le régime syrien, les milices Hachd al-Chaabi, etc., et par laquelle sont principalement opérés les trafics d'armes.

Conscient du rôle déstabilisateur que les Kurdes iraniens pourraient avoir en cas d'affrontement avec les USA, l'Iran s'est également emparé du sujet, ouvrant en Norvège au mois de mai 2019 un cycle de négociations avec des représentants du Centre de coopération des partis politiques du Kurdistan iranien. C'est la première réunion de ce type depuis 1979 : preuve de la menace que ces groupes représentent aux yeux de Téhéran. Conduite par Seyed Mohammad Kazem Sajjadpour, conseiller du ministre iranien des affaires étrangères, les Iraniens ont tenté de convaincre les Kurdes de cesser les hostilités et de ne pas s'engager aux côtés des Américains en cas de conflit. En retour, les Kurdes ont exigé que leurs droits soient respectés et que la formation d'une région autonome similaire à celle de la RAK irakienne soit étudiée. Les Iraniens auraient, naturellement, répondu par la négative.

De ces approches américaine et iranienne, les Kurdes sont ressortis sceptiques. Plusieurs de leurs responsables, ont expliqué qu'ils exigeaient des USA, en contrepartie de leur soutien, une protection permanente. Or, non seulement ces derniers n'ont pas accepté cette requête, mais, plus encore, l'annonce soudaine du retrait des forces américaines de Syrie annoncé en décembre 2018 n'a pas rassuré les Kurdes quant à la loyauté des Américains.

Par ailleurs, concernant les négociations avec les Iraniens, les Kurdes se sont avérés profondément méfiants en raison de l'assassinat du secrétaire général du PDKI à Vienne en 1989 par les services de renseignement iraniens, après qu'ils l'avaient convié à des négociations de paix. L'obstination des Iraniens à ne pas leur octroyer davantage de droits les aura convaincu du manque de volonté de la part de Téhéran de parvenir à un compromis.

De leur histoire, les Kurdes ont retenu qu'ils ne pouvaient se fier totalement à un interlocuteur ou un partenaire : le dicton stipulant que « les Kurdes n'ont d'autres amis que les montagnes » est assez éloquent à cet égard.

Si le fin mot des négociations avec les Américains et les Iraniens est tenu secret, il n'en demeure pas moins que les accrochages entre combattants kurdes et forces iraniennes à la frontière ont nettement diminué durant l'été 2019. Sans en déduire qu'un « accord de paix » entre Téhéran et les groupes armés kurdes est intervenu, cette diminution est peut-être le synonyme d'une volonté des Kurdes de se poser momentanément en observateurs plutôt qu'en acteurs : quelle que soit l'évolution de la situation locale, la coopération kurde, même tardive, sera certainement accueillie par Washington comme par Téhéran.


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